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POESIES

 

Edmond Jabès,

Le Caire 1912 - Paris 1991

 

Désert et Silence

 

J’ai quitté une terre qui n’était plus la mienne,
pour une autre, qui non plus, ne l’est pas tout à fait.
Je me suis réfugié dans un vocable d’encre, ayant le livre pour espace,
parole de nulle part, étant celle obscure du désert.
Je ne me suis pas couvert la nuit.
Je ne me suis point protégé du soleil.
J’ai marché nu.
D’où je venais n’avait plus de sens.
Où j’allais n’inquiétait personne.
Du vent, vous dis-je, du vent.
Et un peu de sable dans le vent.

 

BARBARA

 
Mon enfance


J´ai eu tort, je suis revenu
dans cette ville loin perdue
ou j´avais passé mon enfance.
J´ai eu tort, j´ai voulu revoir
le coteau ou glissaient le soir
bleus et gris ombres de silence.


Et je retrouvais comme avant,
longtemps après,
le coteau, l´arbre se dressant,
comme au passe.
J´ai marché les tempes brûlantes,
croyant étouffer sous mes pas.
Les voies du passé qui nous hantent
et reviennent sonner le glas.
Et je me suis couché sous l´arbre
et c´étaient les mêmes odeurs.
Et j´ai laisse couler mes pleurs,
mes pleurs.

J´ai mis mon dos nu a l´écorce,
l´arbre m´a redonné des forces
tout comme au temps de mon enfance.
Et longtemps j´ai fermé les yeux,
je crois que j´ai prié un peu,
je retrouvais mon innocence.
Avant que le soir ne se pose
j´ai voulu voir
les maisons fleuries sous les roses,
j´ai voulu voir
le jardin ou nos cris d´enfants
jaillissaient comme source claire.
Jean-Claude, Régine, et puis Jean -
tout redevenait comme hier -
le parfum lourd des sauges rouges,
les dahlias fauves dans l´allée,
le puits, tout, j´ai tout retrouvé.

Hélas
La guerre nous avait jetés la,
d´autres furent moins heureux, je crois,
au temps joli de leur enfance.
La guerre nous avait jetés la,
nous vivions comme hors la loi.
Et j´aimais cela. Quand j´y pense
ou mes printemps, ou mes soleils,
ou mes folles années perdues,
ou mes quinze ans, ou mes merveilles -
que j´ai mal d´être revenu -
ou les noix fraîches de septembre
et l´odeur des mures écrasées,
c´est fou, tout, j´ai tout retrouvé.

Hélas
Il ne faut jamais revenir
aux temps cachés des souvenirs
du temps béni de son enfance.
Car parmi tous les souvenirs
ceux de l´enfance sont les pires,
ceux de l´enfance nous déchirent.


Oh ma très chérie, oh ma mère,
ou êtes-vous donc aujourd’hui ?
Vous dormez au chaud de la terre.
Et moi je suis venu ici
pour y retrouver votre rire,
vos colères et votre jeunesse.
Et je suis seul avec ma détresse.

Hélas
Pourquoi suis-je donc revenu
et seul au détour de ces rues?
J´ai froid, j´ai peur, le soir se penche.
Pourquoi suis-je venu ici,
ou mon passé me crucifie?
Elle dort a jamais mon enfance.


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